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Le Festin des Dieux
La fête de Bacchus
extrait des vers 393-440 des Fastes d’Ovide, 1er siècle après J.-C
traduction de Désiré Nisard (1806-1888)
La Grèce célébrait la fête du dieu couronné
de lierre, que ramène l’Hiver tous les trois ans ;
les dieux amis de Bacchus s’y étaient rendus,
avec tous les dieux. amis de la joie, les Pans,
la troupe lascive des Satyres, les nymphes qui
habitent les fleuves et les campagnes solitaires,
et le vieux Silène, lourdement assis sur son
âne qui ploie , et le dieu peint en rouge, dont
les nudités épouvantent les timides oiseaux.
Les ombrages d’une forêt prêtaient un nouveau
charme au festin ; des lits de gazon avaient reçu
les convives, et chacun d’eux s’était couronné
de feuillage. Bacchus fournissait le vin ; près
de là coulait un ruisseau ; mais les buveurs
usaient sobrement de ses ondes. Les naïades
étaient debout ; les unes laissaient flotter librement
leur chevelure, les autres, d’une main savante,
l’avaient disposée avec art autour de
leur front. Celle-ci, pour servir les convives,
a relevé sa tunique au-dessus du genou ; celle-là
écarte les voiles qui cachaient son sein ; l’une
découvre son épaule, l’autre traine sur les gazons
son vêtement qui s’est détaché ; aucun
lien n’enchaine leurs pieds délicats. C’est ainsi
qu’elles embrasent des plus doux feux le cœur
des Satyres. Quelques-unes s’attaquent au dieu
dont les tempes sont ornées d’un rameau de
pin ; d’autres viennent réveiller en toi les brûlants
désirs, ô Silène ; rien chez toi n’a pu les
éteindre encore, et tu ne veux pas vieillir pour
les larcins de l’amour. Mais le rubicond Priape,
l’ornement et la défense de nos jardins, parmi
tant de beautés, ne voit que la beauté de Lotis ;
il la convoite, il l’appelle de ses vœux ; pour
elle seule il soupire ; mille gestes, mille mouvements
de tête expriment son ardeur impatiente ;
mais les belles sont orgueilleuses : la
fierté suit la beauté, et Lotis laisse assez voir
son dédain pour cet amant ridicule. La nuit
vient ; vaincus par l’ivresse, les dieux sont étendus
çà et la, et s’abandonnent au sommeil.
Fatiguée de ses jeux folâtres, Lotis repose à l’écart
sur l’herbe touffue, sous un bosquet d’érables.
Priape se lève, et retenant son souffle,
et de son pied effleurant à peine la terre, il s’avance
doucement et sans bruit. Arrivé vers la
retraite où dort la belle nymphe, il voudrait
ne pas respirer, de peur que son haleine ne la
réveille. Déjà il se balance près d’elle : il touche
à son lit de gazon, et cependant elle reste
profondément assoupie. Transporté de joie, il
soulève le voile qui couvre les pieds de Lotis, et, au moment où une route charmante va le
conduire’ au terme de ses vœux, ô contre-temps
fatal ! on entend braire soudain la rauque monture de Silène. La nymphe effrayée se lève ; ses mains repoussent le dieux, et, en fuyant, elle fait retentir la forêt de ses cris, tandis que la lune, éclairant la honte de Priape, le livre
à la risée de tous, encore tout armé pour les luttes de l’amour. L’âne paya de sa
vie le cri qu’il avait poussé, et c’est, depuis cette aventure, la victime la plus agréable au dieu de l’Hellespont.